ÇA VA ALLER

ÇA VA ALLER

Ça fait un mois, Ah! peut-être deux, que je n’ai pas mis les pieds dans une place publique. Comme notre premier ministre M. Legault nous l’a demandé,  on reste à la maison pour éviter de répandre le coronavirus. Je n’ai pas voyagé depuis les dernières semaines et je n’ai été en contact avec aucune personne à risque. En fait, je l’espère. Parce qu’il y en a, des inconscients qui vont quand même à l’épicerie ou en pharmacie en ayant des symptômes et même en sachant qu’ils sont positifs au test de dépistage. Pas fort.

Ça me fait penser au sida et aux quelques personnes frustrées qui avaient volontairement mis la vie en danger de plusieurs personnes en ayant des relations sexuelles non protégées. La covid-19 est plus vicieuse par contre. On peut être contagieux sans le savoir et le virus vit longtemps sur les surfaces de toutes sortes.

On voit tout de même l’empathie se promener sur les réseaux sociaux. Et cette vague d’arc-en-ciel dans mon fil d’actualité avec cette petite phrase : ça va bien aller. Cette petite phrase, toute innocente me fait dresser les poils sur mes bras et m’atteint parfois jusqu’au cœur…

 Pourquoi ?

 Ça me rappelle le temps où mon fils de cinq ans a été hospitalisé pour une maladie mortelle. J’imagine que tout le personnel est formé pour être capable d’accompagner les familles de ces enfants malades et d’affronter les défis qui viennent avec la maladie. C’est réconfortant de voir un médecin faire sourire ton enfant ou même le personnel d’entretien. Ça met un baume sur le cœur d’une mère, mais chaque fois que quelqu’un me disait : faites-vous en pas, ça va bien aller…j’avais envie de leur crier,

-Ça paraît que c’est pas ton enfant qui a des risques de mourir!

(Bon, j’ai bien dit des risques! Ce n’est pas une chance quand tu as une maladie qui peut te tuer!)

Les défis étaient multiples tous les jours. Après avoir reçu des traitements de chimio, mon fils a commencé à vomir. Effets secondaires normaux. Dans sa tête d’enfant, il a dû se dire, j’mange pu, j’vomis pu. Le faire boire et manger était compliqué, mais c’pas grave, ça va bien aller. Il devait prendre au minimum une douche par jour. Pas simple avec un cathéter planté dans le bras et que t’as à négocier pendant deux heures avec le petit l’heure du bain. Pas grave, ça va bien aller.

On nous a informés qu’après quelques jours de chimio, notre enfant fera de la fièvre puisque son système immunitaire est réduit à zéro. C’est normal. Une infirmière ou un infirmier passe prendre sa température aux deux heures. Je m’informe toujours pour savoir s’il fait de la fièvre. En fait, je pose beaucoup de questions. Et je prie. Je prie les anges, mes ancêtres, l’univers. Je prie qui veut bien m’entendre.

C’est le jour de l’Halloween.  Alors que l’infirmier a à peine sorti le thermomètre de la bouche de mon Ti-Loup pour la Xe fois de la journée, tout en me racontant ce qu’il a de prévu avec ses enfants en soirée, je lui demande,

-Y'en fais-tu!?  

Et le voilà devenu impatient.

-Bon, là madame Couture, y va en faire d’la fièvre Christophe. Tout l’monde en fait! Arrêtez de le demander chaque fois! C’est sûr qui va en faire!

Je suis choquée par son manque de patience. Je sais très bien que si mon enfant commence à faire de la fièvre, les risques que ça tourne mal sont beaucoup plus grands. C’est un signe d’infection et son système immunitaire est à zéro!  Et il ajoute,

-Inquiétez-vous pas, ça va bien aller!

Eille, câlisse! Ça va pas ben! Mon fils est à l’hôpital, dans l’aile onco-hémato en greffe de moelle osseuse! J’ai-tu l’droit de m’inquiéter!?

Je suis tellement fâchée que je ne suis pas capable d’ajouter un mot. Il voit bien que je suis en colère. Il sort de la chambre. Je me dis que tous les parents doivent poser des questions et qu’ils sont inquiets! Je ne comprends pas son attitude. J’appelle mon mari. Je lui explique ce qui vient de se passer et il me dit:

-Ouin ben y paraît que t’en poses plus que les autres…

-Hein!? Ben, coudons…

C’est mon enfant que tu soignes! J’ai bien mangé pendant ma grossesse pour lui donner toutes les vitamines à son développement. Je n’ai pas bu d’alcool, je l’ai allaité pour lui donner tout ce qu’il fallait, j’ai fait moi-même tous ses petits pots. Je lui ai mis de la crème solaire chaque fois que c’était nécessaire, je lui ai tout donné mon amour et vous, vous pensez arriver dans la chambre de mon fils et lui injecter n’importe quoi sans que je pose de questions? Et bien désolée, je vais continuer à être fatiguante. Je ne vais pas me tenir tranquille parce que tu portes une blouse blanche.

Quelques jours plus tard, le même infirmier entre dans la chambre de mon Ti-Loup. Je suis polie, je lui demande comment s’est passée sa soirée d’Halloween. La nôtre fût ordinaire… Il devient ému et coupe court en me disant que finalement les plans avaient changé. Ah!

En fin de journée, mon mari vient prendre le chiffre de soir. En entrant dans la chambre, il me dit que l’infirmier lui a demandé le dernier film Disney que nous venons d’acheter pour Christophe.

-Hein!? Il va l’apporter chez lui?!

-Non, la fille de sa blonde est entrée à l’hôpital le soir de l’Halloween. Elle a une leucémie.

Mon cœur est en miettes.

-Quel âge elle a?

-Trois ans.

Le karma. Je n’ai rien souhaité, mais la vie remet les choses en place.

Le lendemain, il est encore en service et me rapporte le DVD. Je lui demande des nouvelles de la petite. Il fait vite le point et il s’excuse pour son manque de patience.

-C’est correct. Fais-toi-en pas. Ça va bien aller…

La phrase est sortie de ma bouche sans que je le veuille.

Il m’a regardée et a compris tout le sens de ma colère. Si y’a quelqu’un qui sait que ça peut mal virer en quelques heures, c’est bien lui. Je ne sais pas si la petite s’en est sortie, mais elle n’allait pas bien.

Et en passant, mon fils a fait de la fièvre seulement quelques heures une nuit. Mes prières ont été entendues.

Alors quand je vois passer sur Facebook ‘’Ça va bien aller’’ j’ai mal au cœur. D’autant plus que l’arc-en-ciel représente mon frère décédé. C’est fou comment c’est puissant tous ces petits détails.

Alors je vais plutôt vous écrire : ça va aller.

Parce que c’est vrai que tout finit par se placer et rentrer dans l’ordre avec le temps.

Par Manon Lambert 

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