Chapitre 1 Moi rebelle et magique - Par Nathalie Genest

Chapitre 1 Moi rebelle et magique - Par Nathalie Genest

Chapitre 1

Fuir

 

 

— Mesdames et messieurs, bienvenue à bord du vol d’Air France à destination de New Delhi.

New Delhi. L’Inde. Je n’arrive toujours pas à y croire ! Depuis hier, j’ai beau avoir déjà parcouru Montréal-Paris, avoir marché le long des corridors de Paris-Charles de Gaulle, m’être régalé d’une douce viennoiserie parisienne en attendant ce vol me menant enfin à mon objectif et être assise maintenant à bord de ce géant d’acier volant au-dessus de l’Europe, je n’arrive toujours pas à réaliser que dans, un peu moins de neuf heures, je mettrai les pieds en Inde.

Ma respiration est saccadée. À plusieurs reprises, je dois m’efforcer d’inspirer profondément afin de m’aider à expulser cet état de quasi-panique qui s’installe en moi. Un mélange parfait d’excitation et de nervosité intense. Une odeur inconnue m’enveloppe. Pas qu’elle soit désagréable, mais je n’ai aucun repère pour l’identifier. Aucun point d’ancrage. C’est exactement l’état dans lequel je suis partie. L’impression d’avoir perdu toutes mes références. Les gens dans l’avion sont tous absorbés par leurs téléphones cellulaires. Bien que le départ soit imminent, ils continuent de s’étourdir avec leurs écrans. La majorité d’entre eux sont des Indiens. Eux, ils rentrent à la maison. Moi, j’essaie de la fuir.

Je les observe. J’ai la curieuse impression qu’ils ne sont pas réels, comme si j’étais dans un rêve. J’ai la sensation étrange que mon âme n’est plus alignée avec mon corps. Je plane déjà.

Le regard fixé sur cette vue impressionnante que m’offre le hublot, je contemple Paris, la gracieuse, du haut des airs. Un jour, je me promets d’y mettre les pieds. Un jour pas si lointain je l’espère, je contemplerai la Grande Dame.

Une larme coule doucement sur ma joue et rejoint mes lèvres figées dans un sourire béat. Merde. J’y suis. Je m’envole vraiment vers New Delhi cette fois. Je ris. Par chance, mon voisin de siège, un Indien d’environ cinquante ans (j’ai toujours de la difficulté à déterminer l’âge des gens de cultures étrangères), est bien absorbé par son film qu’il a tout de suite démarré une fois les consignes de sécurité terminées. Ses écouteurs sur les oreilles et son attention rivée sur son petit écran, il ne me voit pas rigoler toute seule. Il n’a aucune idée qu’à côté de lui se trouve une fille en pleine hystérie contrôlant à peine ses émotions.

Quel sentiment particulier : un mélange d’excitation, d’appréhension, d’interrogations et de grande hâte de découvrir enfin ce monde, ce peuple à qui j’ai la profonde conviction d’appartenir.

L’Himalaya !

Tu imagines ? Moi, la petite fille de la campagne québécoise. Je m’en vais dans l’Himalaya !

L’ivresse s’empare momentanément de mon être. Quel sentiment immense de gratitude. J’ai juste envie de crier au monde entier ma joie d’être là, en ce moment même. Je ne voudrais être nulle part ailleurs. Rien de ce que j’ai quitté temporairement pour faire ce voyage ne me fait regretter. Ni mon conjoint, ni ma famille, ni même mes enfants. Rien.

Ce voyage s’est présenté comme un cadeau venu du ciel. J’en ai si longtemps rêvé. Jamais je n’aurais cru le réaliser si tôt. Pas cette année. Pas en 2019. Tout s’est passé si vite. Je me souviens très bien de cette nuit de juillet.

Je suis assise seule dans mon salon.

Je pleure.

J’ai le cœur en miettes.

Je suis au bout de toutes mes ressources. Mon corps est fatigué. Ma tête est épuisée. Mon âme appelle au calme et à la douceur. Je viens de vivre un des moments les plus difficiles qu’une mère puisse vivre. Ma grande fille est en détresse. Elle souffre dans son cœur, dans son être profond. Elle cherche par tous les moyens à engourdir cette souffrance et en finir. Tous les moyens, incluant l’alcool et la drogue. Cette fois, c’est allé trop loin. J’ai dû demander l’assistance des forces policières et ambulancières.

Je suis démolie.

Je reste là à trembler d’épuisement, versant toutes les larmes de mon corps et me demandant encore une fois ce que j’aurais bien pu faire de différent. Rien. Rien ne me vient. Seules les larmes et l’exaspération profonde. Je pleure tout mon être et je lance cet appel criant à Dieu, à la Vie.

J’ai besoin de partir.

J’ai besoin de me retirer de ma vie actuelle. Je n’en peux plus ! J’ai besoin de m’en aller loin. À l’autre bout du monde ! N’importe où ! Je veux seulement ne plus réfléchir. Ne plus avoir à prendre de décision. Ne plus avoir à répondre aux appels. Ne plus avoir à tout gérer. Ne plus avoir à subir cette situation qui me tue peu à peu. Il est près de quatre heures du matin.

Ça fait maintenant trois heures que je suis assise là à me vider de mes larmes. Trois heures qu’ils ont amené ma fille pour la mettre en sécurité. Morte de fatigue, les yeux bouffis, je regagne finalement mon lit, laissant choir sur le plancher les dizaines de mouchoirs souillés.

Je ramasserai ça demain. Pour le moment je n’ai qu’une préoccupation, dormir pour ne plus souffrir. Je m’effondre dans mon lit. La tête me tourne. Dites-moi que je rêve et qu’à mon réveil tout sera disparu ! Je me laisse engouffrer dans ce tourbillon et je m’endors. Une trop courte nuit qui me laisse un peu de répit s’achève déjà.

La lumière du jour traverse les rideaux tout de même épais. J’ai la tête lourde. Je regarde mon téléphone : presque dix heures ! Je ne dors jamais si tard. La maison est vide. Silencieuse. C’est tranquille. Je sors de ma chambre. Ma chienne m’attend patiemment de l’autre côté de la porte. Elle m’escorte jusqu’au salon, comme si elle voulait me soutenir. Ça n’était pas un mauvais rêve. Mes mouchoirs sont encore là. Je me dirige vers la chambre de ma fille. Elle n’y est pas. C’est le vide total. Elle est réellement partie en ambulance. Les larmes me montent aux yeux instantanément.

Cette douleur me transperce le cœur. Je retourne au salon, chaque pas étant plus lourd que le précédent. Je me prends un café au passage. J’en aurai grandement besoin. Je m’assois sur le sofa et, comme une automate, j’ouvre mon téléphone. Rien ne m’intéresse. Je fais défiler mon fil d’actualité sans vraiment lire. Tout me semble insignifiant. Tout, sauf un message. Mon amie Laurence m’a écrit. Son message attire mon attention et pique ma curiosité. J’ai connu Laurence il y a un peu plus d’un an. C’est une âme avec laquelle je connecte intensément.

Nous avons de très profonds partages elle et moi. Elle m’envoie un message me disant que le voyage qu’elle a fait en Inde l’année précédente se refait cette année et qu’il reste sûrement quelques places. Lorsqu’elle m’avait annoncé son projet il y a plus d’un an, j’avais été emballée pour elle. Quelle chance elle avait. Pas la chance comme quand on envie quelqu’un, la chance comme dans un cadeau immense qu’elle se faisait. Combien de fois je me suis fait dire que j’étais chanceuse de faire mon horaire, de faire des voyages. Tu n’as pas idée à quel point cela est devenu irritant, voire même horripilant. À ce stade-ci de ma vie, j’ai assez évolué pour avoir la capacité de ressentir une profonde joie pour l’autre lorsqu’il vit un événement heureux. La jalousie et l’envie n’apportent rien de bon. Au contraire, en vibrant cette joie, je m’attirais moi aussi cette fabuleuse opportunité. Les opportunités, il faut savoir les créer et les saisir. C’est exactement ce qu’elle avait fait.

Je vibrais à cette idée depuis si longtemps moi aussi. C’est probablement la dernière année que cette accompagnatrice l’organise.

C’est peut-être ta chance, qu’elle m’écrit. Je suis bouche bée. Je demeure là à relire son message maintes et maintes fois. Ma vision s’embrouille. Mon cœur s’emballe. L’Inde.

Je suis aussitôt projetée quelques heures auparavant, me revoyant assise seule dans le noir, criant mon désespoir et mon besoin de partir au loin.

Seule !

Voilà.

Demandez et vous recevrez. Tu sais cette fameuse phrase ? Eh bien, elle est vraie. J’avais ma réponse. C’est complètement fou ! Irréel. J’ai envie d’y croire. Je sors de ma léthargie et me mets en action.

Je veux tout savoir. Tout comprendre. Tout connaitre.

Je clique sur le lien que Laurence m’a envoyé. En fouillant un peu, je trouve le lien pour m’inscrire à ce fameux voyage. Je me suis mise à lire le programme en détail. La description de chaque journée me donnait des frissons. Visites de temples, méditations, entretiens avec des moines bouddhistes, trek dans l’Himalaya. J’avais les larmes aux yeux. Des larmes de joie cette fois. J’avais cette impression puissante que c’était ma place. Un appel de mon âme. Tu sais, ce sentiment d’avoir enfin trouvé ton chemin ?

Après avoir discuté de la situation avec mon conjoint le soir venu et passé la journée à tenter de surmonter mes peurs, j’ai contacté l’organisatrice. Faut se dire les vraies affaires, un voyage en Inde, c’est loin d’être une semaine dans un tout inclus à Cuba. Financièrement, ça implique beaucoup. Et l’Inde, on entend tellement toutes sortes de choses à son sujet. Certains disent que c’est dangereux, d’autres que c’est extrêmement pollué.

C’est sans compter les commentaires qui viendraient de ma famille. Je me ferais juger parce que je pars alors que mon enfant ne va pas bien. Quelle mère indigne. Mon père va me dire que c’est insensé, que c’est une dépense inutile. Ma mère va me faire part de toutes ses peurs et du fait que ça n’a pas de bon sens de partir comme ça dans un pays inconnu, que c’est bien trop dangereux. Que dire de ma fille. Elle qui souffrait. Elle allait dire que je l’abandonnais. Et son père. Il allait certainement critiquer le fait qu’il me paie une pension et que moi, de mon côté, je me paie des voyages. Intérieurement, je me faisais les pires scénarios de réactions.

Étonnamment, mes parents m’ont encouragée. Ma mère m’a même dit qu’elle était fière de moi et qu’elle me trouvait très bonne de partir ainsi vers l’inconnu. Ma fille a eu un moment de tristesse, mais j’ai su la rassurer. Et son père a très bien réagi me disant qu’il allait prendre soin d’Océane pendant mon absence. Il y a bien eu quelques rabat-joie qui sont venus me dicter leurs craintes, mais tous ces commentaires n’ont pas eu d’impact sur ma décision.

Moi qui ai longtemps fait mes choix en fonction de l’opinion des autres, je choisis maintenant de me faire ma propre idée ! Et je pars seule. Bien sûr, je suis avec un groupe. Mais je ne connais personne. Pas de famille. Pas d’amis. Personne qui sait ce que je vis. Personne qui peut influencer d’une façon ou d’une autre mon séjour. Personne à qui rendre de compte. Pas d’obligation de prendre soin de quelqu’un ou de parler à qui que ce soit. Malgré le fait que je sache très bien qu’on n’est jamais obligé à rien. Ça a quelque chose d’enivrant et à la fois d’angoissant. Dix-huit jours. Je ne suis jamais partie aussi longtemps. Est-ce que je vais m’ennuyer ? Est-ce que je vais trouver ça difficile ? C’est la partie qui me parait la plus lourde.

Je médite.

Je demande d’être libérée de ces peurs. Je m’abandonne et me laisse voguer sur le flot de cette énergie qui me pousse. En deux jours, tout est réservé. Au moment de confirmer mon inscription, j’ai eu le vertige. J’allais partir. Et ça arriverait vite.

Fin octobre. J’avais précisément trois mois devant moi. C’est peu pour un voyage de cette envergure. Plusieurs participants à ce périple s’étaient inscrits et se préparaient depuis près d’un an. Moi, j’avais trois mois pour me préparer. Qu’importe ! C’était ma voie. J’avais choisi de faire confiance au processus et de me laisser guider.

 VOUS AVEZ AIMEZ, UTILISER LE CODE : SOLDECHAPITRE1 POUR 30 % DE RABAIS.

Étiquette