Chapitre 1 Nos miroirs, vos histoires - Par Manon Lambert

Chapitre 1 Nos miroirs, vos histoires - Par Manon Lambert

Mes coiffeuses

 

 

Lundi matin. Comme la plupart des coiffeuses du Québec, je suis en congé aujourd’hui. Installée devant mon ordinateur avec un bon café, les enfants déjà partis pour l’école, je savoure ce moment de tranquillité. Entre le brouhaha du salon et le rush du « souper-devoirs-bain », ce temps de solitude devient un privilège. En cette période estivale, de ma tourelle je peux voir les poneys courir dans le parc, près de la maison.

J’adore mon coin de pays, qu’on appelle « les jardins du Québec ». La campagne, pure et simple. Complètement au sud de la province, les terres agricoles s’étendent à perte de vue. Les jardiniers maraîchers y cultivent une grande variété de légumes qui alimentent notre belle province et bien au-delà. Quelques rares producteurs laitiers sont encore installés sur les terres paternelles. C’est ici que je suis née. Ma clientèle est composée en grande partie de gens travaillant sur ces fermes maraîchères. À partir du mois d’avril jusqu’au mois de novembre, les heures accumulées pour arriver à cultiver des produits de qualités sont incalculables. Je tente donc de les accommoder comme je peux au salon. Pendant cette période de l’année, toutes les six semaines, j’ai une cliente qui part avec de la teinture encore sur la tête ! Pas le temps d’attendre, surtout avec quatre enfants en plus à la maison.  

J’apprécie ces débuts de semaine où je peux tranquillement prendre mes courriels et naviguer sur le web en jetant un œil sur les réseaux sociaux. Je suis souvent étonnée de voir tout ce qui peut s’écrire là. Je me sens parfois même mal à l’aise de lire ce que nos « amis » peuvent afficher comme opinions semblant avoir été écrites sous le coup de l’émotion. Par contre, lorsque la vie nous malmène, partager nos peines est une méthode rapide et efficace pour trouver de la compassion de la part de ces mêmes personnes. En lisant le fil d’actualité de mes amis Facebook et de quelques clientes chouchous (oui, je sais, c’est toujours un peu délicat d’accepter ce genre « d’amitié », la liberté d’expression est plus limitée), un post que partage une de mes collègues de travail attire mon attention. Je vois Rosa-Lee et un jeune homme sur une photo qu’elle a publiée. Elle s’adresse à lui en lui écrivant un message touchant. Je ne le connais pas. Elle ne m’a jamais parlé de lui. Le temps de comprendre le sens des mots écrits par Rosa-Lee, je devine qu’il s’est suicidé.

Cette nouvelle me frappe.

Elle lui fait ses adieux et lui dit à quel point elle l’aime.

On peut sentir son désarroi et toute sa tristesse.

— Merde ! Pauvre Rosy !

Il avait à peine vingt-deux ans. Trop jeune pour mourir. Du haut de mes quarante-cinq ans, j’ai instantanément une pensée pour les parents de ce garçon. Quel calvaire ! Perdre un enfant, c’est ma plus grande crainte. Mais vivre le deuil d’un suicide, ça me tuerait. Juste d’y penser, ça me rend folle !

Je suis tellement triste pour elle. C’est difficile de perdre quelqu’un qu’on aime. Surtout dans de telles circonstances. C’est atroce. J’aimerais la prendre dans mes bras à ce moment précis. Rosa-Lee est très sensible, malgré ses airs de rockeuse. Plusieurs de ses amis virtuels sympathisent avec elle et lui écrivent des messages réconfortants. Mon cœur se serre et mes yeux s’embrouillent. Je serais tellement en colère si ça m’arrivait. Le pire, c’est que je ne me le pardonnerais pas. La culpabilité me rongerait et me rendrait malade à coup sûr.

— Mon Dieu, protège mes enfants du suicide !

Rosa-Lee peut au moins partager sa peine en direct, et comme certaines personnes ont sans doute déjà vécu quelque chose de semblable, les mots de ses amis virtuels sont bien choisis pour expliquer l’inexplicable. Tout ça me trouble.

Je lui écris en privé :

— T’es en deuil, Rosy ! Toutes mes condoléances… fais pas de conneries, O.K. ?

Elle me répond instantanément :

— Merci, Estelle… inquiète-toi pas.

Hum ! Pourquoi ça ne me rassure pas ?

Quelques jours plus tard, elle me raconte comment elle a appris la terrible nouvelle.

Elle téléphonait à un ami qu’ils avaient en commun.

— Salut, Gagnon ! Eille, coudon ! Tremblay, y’est-tu mort ?

Cette phrase, qui semble si banale, est trop souvent utilisée lorsque nous sommes sans nouvelles de quelqu’un depuis longtemps. Rosa-Lee enchaîne sans lui laisser le temps de répondre à sa question :

— Ça fait une s’maine que j’ai pas eu d’ses nouvelles ! Je l’appelle pis y m’répond pas !

— Ouin, ben y’est pas encore mort, là, mais ses parents l’débranchent à soir…

Rosa-Lee était sous le choc. Elle ne s’attendait pas à une réponse comme celle-là. Il lui faudrait encore quelques minutes pour absorber le coup et réaliser l’ampleur de la tragédie. Jamais elle n’avait perçu le désespoir de son meilleur ami.

Je trouve l’instinct de l’être humain étrange. Au moment où notre vie est en danger, soit à cause de la maladie ou lors de crises extrêmes comme en temps de guerre, la majorité d’entre nous veut échapper à la mort à tout prix. Ici, au Québec, nous sommes choyés. Malgré le froid de nos hivers canadiens, c’est l’une des meilleures places où habiter sur la planète. Malgré cela, notre province figure tout de même parmi les dix endroits où le taux de suicide est le plus élevé. La pression sociale en est sûrement l’une des grandes causes. La détresse de l’Homme détruit son raisonnement. L’orgueil le fait taire. La peur d’être jugé l’isole. Certaines personnes franchissent le point de non-retour…

 

Rosa-Lee fait partie de l’équipe du salon de coiffure depuis bientôt un an et demi. Je me souviens exactement de notre première rencontre.

C’était un mercredi matin. N’ayant pas de cliente dans la prochaine heure, j’en profitais pour passer le balai dans la salle d’attente afin de ramasser les cheveux qui s’éparpillent toujours un peu partout. Victoria était assise au bureau de la réception, en train d’étiqueter les produits de la commande reçue la veille. On discutait de tout et de rien. J’ai vu alors une voiture se garer dans le stationnement du commerce.

— T’attends une cliente, Vicky ?

Vicky est le surnom que tous les proches de Victoria utilisent et Rosy est celui de Rosa-Lee.

— Ben non, Estelle ! Ma prochaine cliente est à 13 h !

— Ah ben ! Y’a quelqu’un qui arrive ! Encore un vendeur de qu’que chose, je suppose !

Lorsque Rosa-Lee est passée devant la grande vitrine du salon, j’ai tout de suite su qu’elle était coiffeuse. C’était son look. Elle a frappé à la porte avant d’entrer. Je me suis avancée à sa rencontre.

Elle avait début vingtaine. Ses cheveux noirs avec des sections d’un jaune éclatant étaient coiffés en mohawk. Très tendance cet été-là, mais pas très commun dans mon coin. Ses yeux étaient soigneusement maquillés, ce qui faisait ressortir le bleu de ses iris, derrière ses lunettes stylisées. J’adore les gens qui se démarquent et s’assument. J’aime la différence. En coiffure, c’est ce qui a fait ma réputation.

Elle était plus grande que moi (facile, je mesure à peine cinq pieds !). Elle m’a dit, nerveusement, mais avec un certain aplomb :

— Allô ! J’m’appelle Rosa-Lee Labelle. Mes profs de coiffure m’ont conseillé de v’nir vous voir pour faire mon stage. C’est bien ici que Frédérique Van Marle a fait le sien ?

Hein ?! J’comprends pas, là ! Frédérique a fait son cours de coiffure à l’école professionnelle de Châteauguay il y a plus de neuf ans déjà. Victoria a terminé le sien depuis à peine deux ans, à la même école ! Je suis fière que Frédérique ait laissé sa marque, mais les enseignantes n’ont certainement pas oublié Victoria pour autant ! Elle s’est distinguée par sa passion, son talent et son style, tout comme Frédérique.

Je me suis retournée vers Victoria, qui est toujours assise au bureau de réception, et je réponds en même temps à Rosa-Lee :

— Heu, oui, oui ! Mais Victoria aussi a fait son stage ici !

Elle agita la main et sourit à pleines dents, en signe de salutations.

— Elle devient bientôt travailleuse autonome… elle va louer sa chaise !

— Ah oui ? Félicitations ! C’est ben l’fun ! J’suis contente pour toi ! dit Rosa-Lee en s’adressant à Victoria.

Wow ! Est donc ben fine, c’te fille-là !

J’étais agréablement surprise de l’entendre féliciter Victoria. C’est rare de voir de jeunes adultes en complimenter sincèrement d’autres pour avoir accompli quelque chose. Cette attitude spontanée me combla de joie. Dans le domaine de la coiffure, il existe souvent une grande compétition entre les coiffeurs, comme dans plusieurs autres domaines, d’ailleurs. L’orgueil et la fierté nous poussent à nous dépasser. Avoir la plus grande clientèle et des clients de prestige sont les buts ultimes de plusieurs coiffeurs ambitieux et j’ai déjà fait partie de cette catégorie. Bien sûr, cette ambition crée aussi de la concurrence entre les coiffeurs dans un même salon. J’ai vite compris que je ne pouvais pas vivre avec une tension comme celle-là si je voulais pratiquer ma passion. La seule compétition que je suis capable de tolérer est le dépassement de soi et c’est ce que j’ai enseigné à chacune des filles qui sont passées dans mon salon.

En étant consciente que tu as fait le maximum pour satisfaire ta cliente et que le résultat de ton travail est digne de tes connaissances, tu seras toujours fière de toi.

C’est pour cette raison et à ce moment précis que je suis tombée sous le charme de cette jeune femme.

Je lui ai tendu la main et lui ai dit :

— Je m’appelle Estelle. Je suis l’ancienne propriétaire du salon, mais laisse-moi tes coordonnées pis Léonie, la nouvelle propriétaire, va t’rappeler.

— Compte sur moi !

Ensuite, on a discuté de coiffure et de produits pendant quelques minutes et elle a quitté le salon. Je connaissais déjà la façon d’enseigner de cette école et j’étais convaincue que Rosa-Lee devait faire partie de notre équipe. Rosa-Lee était passionnée de coiffure, comme nous. Je me suis empressée de téléphoner à Léonie. J’étais vraiment emballée de lui annoncer la nouvelle.

— Léonie ! Une fille vient de passer donner son nom pour faire un stage ici. J’te jure, elle fitte dans notre équipe ! Y faut absolument que tu la rappelles !

— Ah oui ?!

— Oui ! J’te l’dis, tu s’ras pas déçue ! J’te texte ses coordonnées !

On discute un peu et Léonie me dit avant de raccrocher :

— O.K. ! J’vais la rappeler, Estelle !

Yes ! La famille s’agrandit !

Et depuis ce temps, Rosa-Lee colore nos journées. Spontanée, elle est un vrai livre ouvert. C’est aussi quelqu’un sur qui l’on peut toujours compter. Elle a une âme singulière, tout comme son apparence. Avec ses piercings, ses tatouages (« Un nouveau par mois ! Non, j’exagère… à peine ! ») et ses changements de look, comme les longs cheveux fuchsia qu’elle porte maintenant, Rosa-Lee est colorée dans tous les sens du terme. Divertissante, drôle et souvent sans filtre, elle a toujours une nouvelle histoire rocambolesque à nous raconter. Elle est presque aussi expressive que moi, j’ai bien dit « presque » ! Cette jeune femme est la personne la plus attachante que je connaisse.

Victoria est la dernière coiffeuse que j’ai eu le plaisir d’employer en tant que propriétaire du salon de coiffure. J’avais très envie de travailler avec cette jeune fille que j’avais eu le bonheur de coiffer pour son bal de fin d’études. C’est à cette occasion qu’elle m’a confié qu’elle se dirigeait vers ce domaine. Je l’ai encouragée à venir me voir aussitôt qu’elle aurait quelques notions de coiffure. Je suis un peu mère poule (non, pas un peu… beaucoup !) et comme avec presque toutes les coiffeuses qui sont passées dans mon salon, je l’ai traitée comme ma fille.

Victoria est une véritable boule d’énergie. Enjouée, toujours de bonne humeur, elle est un rayon de soleil qui illumine le salon dès son entrée. Sa façon chantante de parler nous fait inévitablement sourire. En prime, elle est d’une beauté naturelle qui ne laisse personne indifférent. Victoria a une allure espagnole. Teint basané à l’année, yeux brun foncé et cheveux noirs. En plus, elle est toujours tirée à quatre épingles. Ce que je préfère par-dessus tout, chez elle, c’est cette innocence qui l’habite et qui la rend si sympathique.

Un vendredi, alors que nous travaillions au salon toutes les quatre, Rosa-Lee, Léonie, Victoria et moi, nous discutions avec les clientes de différents sujets. Voilà que Victoria nous a dit, une réglisse rouge à la main et du haut de ses dix-neuf ans :

— Saviez-vous qu’y’a pas de calories dans le sucre ?

Étonnée et en la taquinant un peu, je lui répondis :

— Hein ! Qu’est-ce que tu dis là, Vicky ?

 Rosa-Lee, qui s’approchait, me jeta un regard avec un sourire en coin.

— J’ai entendu ça à la télé ! Y’a pas de calories dans le sucre !

— Ben voyons, Victoria ! Faut pas croire tout c’que t’entends à la télé ! dit Rosa-Lee.

— J’vous l’dis ! Y’a pas de calories dans le sucre ! insista-t-elle.

 Léonie rétorqua à son tour :

— Ben non, Victoria ! Ça se peut pas !

Je rajoutai :

— Y’a pas de calories dans le sel, mais y’en a dans l’sucre, chérie !

Victoria se ravisa.

— Ah ? À moins que ce soit le sel ? dit-elle, l’index en l’air, un peu pour elle-même.

Évidemment, nous avons toutes éclaté de rire ! Il faut dire que Victoria est une « bibitte à sucre ». Elle aime les bonbons de toutes sortes. Elle pourrait se nourrir uniquement de sucreries et de desserts. Elle en a toujours avec elle : chocolats, jujubes et bonbons durs, peu importe la saveur ou la couleur. Elle vendrait son âme pour des friandises.

On a ensuite passé la journée à la taquiner avec son « sucre sans calories ».

 

Il règne une énergie particulière dans le salon, et ce, tous les jours où nous travaillons ensemble. Rien à voir avec les petites cliques qui se créent dans les milieux de travail où se trouvent en majorité des femmes. Les bitcheries et les regards de travers ne sont pas admis chez moi.

Chaque matin, en entrant au salon, lorsque les horaires sont bien chargés, l’adrénaline est toujours au rendez-vous. La bonne humeur règne toujours et elle est contagieuse. On a une façon bien à soi de se saluer, chaque fois qu’une des coiffeuses entre au travail en début de journée.

— Bon matin, les Exceptionnelles !

Et les autres coiffeuses déjà sur place répondent en chœur :

— Bon matin !

Nous avons beaucoup de plaisir à travailler ensemble. Bien sûr, on se raconte les secrets de nos clients quand le temps nous le permet. Les histoires de cœur, les confessions croustillantes, les mauvaises nouvelles, peu importe, on s’en glisse un mot en préparant une teinture ou dans la cuisinette en pliant des serviettes.

— Fais-moi penser de t’parler de Christine tantôt !

On s’amuse à se faire languir. On se parle discrètement aux lavabos en lavant la tête d’une cliente ou à la réception en faisant payer la facture. Jamais rien de méchant. Le ton peut être un peu moqueur, mais jamais mesquin. Il faut parfois que je ramène mes coiffeuses à l’ordre. Le respect avant tout. C’est quand même cette clientèle qui nous permet de payer les factures !

Un lien unique nous lie. Les coiffeuses sont comme mes filles. On est une famille, avec les hauts et le bas du métier et de nos vies. On est des complices de travail.  

Léonie, la nouvelle propriétaire du salon, est la plus réservée de nous toutes. Lorsqu’elle discute avec ses clientes, c’est en parlant tout bas. Elle est douce et posée. La peau claire de son visage arrondi lui donne un air de poupée de porcelaine. Ses yeux bleus et ses cheveux blond naturel complètent le tout. Léonie est tellement discrète que lorsqu’elle a commencé à travailler chez moi, j’oubliais qu’elle était là. Il faut dire que nous étions nombreuses à cette époque : cinq coiffeuses, dont Frédérique et une coordonnatrice, sans compter les stagiaires qui passaient. Tout ça dans un espace de huit cents pieds carrés. Il y avait beaucoup d’action, dans ce petit local, le week-end.

Âgée de seulement dix-huit ans au début de sa carrière, Léonie avait un style de garçon manqué. Elle jouait au hockey, aimait aller à la pêche avec son grand-père, faisait du skate et du snowboard. Toujours chaussée de ses souliers à semelles plates et d’un jean, elle travaillait avec nous de façon à se faire transparente. Grande, avec son look de skate et ses cheveux noirs avec des sections platine que Frédérique avait réalisées avec style, Léonie était éblouissante, malgré le fait qu’elle ne désirait pas attirer l’attention. Il faut dire qu’à ce moment elle n’avait pas beaucoup de place pour s’épanouir, étant la dernière entrée au salon. À travailler avec autant de coiffeuses expérimentées, elle se faisait toute petite. Mais un an après son embauche, deux de mes coiffeuses ont quitté le métier et, quelques mois plus tard, deux autres sont parties travailler chez un concurrent. Léonie a donc pu prendre sa place tout doucement. Nous n’étions plus que trois, après tous ces changements.

Léonie étant la benjamine, elle recevait la clientèle la plus jeune. Comme pour la chenille dans son cocon, une transformation s’est faite tout doucement. Léonie a pris de l’aisance et de l’assurance, laissant de côté sa timidité. Ma confiance en elle lui a permis de gagner de l’expérience. Elle est devenue de plus en plus féminine. À la suite de mes conseils, elle a coloré ses cheveux avec des teintes cuivrées. Ses cheveux ont allongé et sa taille s’est affinée. Après quelques mois, comme le papillon qui éclot, Léonie est devenue une jeune femme magnifique, à la personnalité magnétique, et, par le fait même, a su bien assumer son rôle de coiffeuse. Comme plusieurs jeunes de son âge, quelques tatouages l’habillent, mais bien cachés à l’abri des regards. Elle est maintenant attirée par tout ce qui brille et porte des souliers à semelles compensées. Ses talons sont si hauts que j’ai l’impression d’être une naine lorsque je suis près d’elle. Maintenant, tout le monde la remarque.

À New York, lors d’un congrès de coiffure, tous les professionnels du domaine se retournaient sur son passage pour apprécier sa beauté et son style bien à elle. Certains ont même demandé à la prendre en photo, pour immortaliser la belle rousse au teint de porcelaine et certainement aussi pour se donner un peu d’inspiration. Les mannequins dans les défilés semblaient banals à côté d’elle. Et Dieu sait à quel point c’est « hot », la mode à New York !

Dans la rue, les hommes sifflaient sur son passage et l’un d’eux lui a crié :

— What is your style ?

Surprises, on s’est regardées et Victoria lui a répondu :

— It’s Léonie’s style !

À ce moment précis, Léonie aurait voulu se liquéfier, fondre pour mieux passer par la fente du trottoir et disparaître.

— Arrêtez, les filles !

Même en penchant sa tête vers l’avant et en tirant sur son petit béret blanc cassé, elle nous dépassait de plusieurs pouces avec ses bottes à talons hauts.

— C’est pas de notre faute s’ils te trouvent belle !

Ça nous a plutôt amusées. Elle est devenue l’attraction de Time Square pendant quelques minutes. Lorsqu’on est grande, plus rousse qu’une Écossaise et que deux coiffeuses se sont amusées à friser nos longs cheveux en bouclettes avec de nouveaux accessoires achetés la veille au congrès de coiffure, difficile de passer inaperçue, surtout avec un maquillage de star !

Léonie s’est même fait demander en mariage par un homme d’origine arabe dans Chinatown, lors de notre magasinage.

— Take me! Take me!

Il ne cessait de le répéter, après qu’elle lui ait demandé le prix d’un article.

Avec mon rire qui n’est pas du tout discret, je dis à Léonie, à la blague :

— Veux-tu que je lui demande combien de chameaux tu vaux ?

Elle me répondit, mal à l’aise :

— Estelle, arrête ! Tout le monde nous regarde !

— Mais le monde te regarde même quand je ris pas !

Pendant tout le voyage, on se faisait un plaisir fou, Victoria et moi, à rester derrière elle pour apprécier les regards stupéfaits qui apparaissaient sur son passage. Telle une sirène, elle semblait les hypnotiser. Les gens ne pouvaient détacher leurs yeux de sa tignasse flamboyante !

Lors de notre retour, dès son entrée dans l’avion, les passagers déjà assis se sont tous retournés un à un, comme une vague, pour la regarder marcher dans l’allée. C’est à ce moment que Victoria lui a donné un surnom.

— Léonie ! T’es comme la mascotte de Coiffure Exceptionnelle !

— Eille ! fait Léonie, d’un ton plutôt autoritaire et avec un regard que je ne lui connaissais pas.

Je répétai, en riant :

— Ah oui ! La mascotte de Coiffure Exceptionnelle ! C’est exactement ça !

— Les filles, arrêtez !

C’était vraiment hilarant, du moins pour nous. Impossible pour elle de passer inaperçue. Et nous profitions de la situation.

Mais le comble, c’est qu’au moment où nous sommes entrées dans le stationnement du centre commercial de Burlington (« Encore quelques petites choses à acheter avant de retourner au Québec ! »), une grande affiche indiquait que c’était le week-end du festival des mascottes !

— Léonie, cria Victoria, ils t’attendent ! Y manquait juste toi !

Je ne pouvais pas m’empêcher d’éclater de rire.

— Oh, oui ! C’est ta fin de semaine !

Léonie ne riait pas du tout.

— Eille, les filles ! Vous êtes pas drôle pantoute !

Elle était vraiment fâchée. Elle nous jetait un regard noir et ça nous faisait rire encore plus. Vraiment trop pissant !

Le plus amusant dans tout ça, c’est qu’elle ne se rendait même pas compte de l’effet qu’elle produisait. C’est ce qui fait tout son charme.

Petit à petit, Léonie s’est bâti sa propre clientèle. Une clientèle à son image, faite de jeunes qui ont le goût de se démarquer avec des styles funky et colorés, mais aussi de certaines de mes clientes de longue date, fidèles au salon, dont elle prend bien soin comme si elles faisaient partie de sa famille. Une clientèle devenue assez grande pour lui donner le goût de devenir propriétaire. Comme si son avenir était déjà tracé…       

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