L'histoire de Christophe... Une référence au bonheur.

L'histoire de Christophe... Une référence au bonheur.

 Mercredi, 24 juin. C’est la St-Jean-Baptiste. Les enfants ont fini l’école, les bals de graduation sont passés, je suis donc enfin en vacances pour une semaine. Nous allons rendre visite à ma sœur au camping où elle est installée à l’année. Je pars avec mes deux fils et ma fille, la voiture remplie de jouets, de vêtements de rechange et de bouffe pour passer une merveilleuse journée. J’ai même chargé les deux bicyclettes de mes garçons. Mon conjoint ne peut pas se joindre à nous puisqu’il travaille sur la terre familiale. Il fait beau et chaud. Les enfants pourront se baigner dans le lac et ils sont impatients de pêcher avec leur oncle.

Christophe veut apprendre à faire de la bicyclette sans les petites roues. Il voit bien que son frère va plus vite, alors on entreprend, ma sœur et moi, de les enlever et l’aider à apprendre à rouler sans elles. Il a cinq ans.

Nous sommes de chaque côté pour l’aider à tenir son équilibre et le rythme accélère rapidement à chacun de ses essais. Il s’améliore, donc ma sœur se place devant pour l’accueillir au lieu de courir à ses côtés. Il perd l’équilibre et tombe sur son vélo. Rien de cassé, mais en l’aidant à se relever, je remarque qu’un bleu est apparu sur son bras, près de son coude sur lequel il a atterri. Ma sœur relève la bicyclette et je lui montre l’énorme tache noire qui vient d’apparaître sur son bras.

—T’es sûr que c’était pas là avant?

—Non! Ça vient d’apparaître! C’est pas normal!

Mais Christophe est déjà prêt à remonter sur son vélo et est bien déterminé à en faire comme son grand frère.

Je suis inquiète, mais je ne veux pas alerter mon fils. Le reste de la journée se passe bien et aucun autre  bleu n’est apparu.

Jeudi, 25 juin. Il fait beau et chaud et les enfants veulent se baigner dans notre nouvelle petite piscine gonflée bleue. Christophe touche à peine le fond. J’ai ma fille d’un an et demi dans les bras et mon aîné s’amuse avec Christophe et les longs spaghettis comme si c’étaient des épées. Une nouille frôle son bras et une autre marque apparaît. Celle-ci est bourgogne. Une longue trace à l’endroit exacte où a frottée la nouille. Je réagis. Julien est mal à l’aise, mais Christophe n’a pas de douleur. J’explique à mon aîné que ce n’est pas de sa faute, que c’est bizarre, mais que je sais qu’il ne voulait pas le blesser. Mon inquiétude grandit d’heure en heure. J’appelle ma nièce infirmière pour avoir son opinion. Elle me conseille de me rendre au CLSC et d’insister pour lui faire passer une prise de sang. C’est ce que je fais. Dès la première heure, je suis au CLSC pour voir un médecin pour comprendre ce qui se passe avec la santé de mon fils.

Les filles au salon se sont occupées de faire mes clientes ou de les déplacer dans l’horaire.

Lorsque j’entre dans le bureau du médecin, il me pose quelques questions et demande à voir les marques sur Christophe. Je lui montre le premier qui est apparu sur son bras droit et le suivant Il regarde ses jambes et me demande s’il est maladroit dû aux autres taches sur ses jambes. Mais elles n’ont rien en commun avec les deux autres. Je lui explique que c’est un garçon et qu’il s’amuse normalement dehors avec son grand frère. Il lui demande si les amis à l’école l’ont frappé et s’ils lui ont donné des coups de pied.

—Non! C’est pas ça!

Je commence à être impatiente. Je lui ai pourtant expliqué tout ce qui est arrivé et que je voulais qu’il passe une prise de sang. Il me regarde dans les yeux et me demande :

—Est-ce que ça va bien dans votre couple? C’est votre mari qui le frappe?

Je suis sur le point d’exploser.

—C’est pas mon mari qui le frappe! Oui, ça va bien dans mon couple! J’vous dit que c’est arrivé instantanément les marques!  JE VEUX qu’il passe une prise de SANG!

Il retourne à son bureau en me disant :

—Bon, ok, Si vous insistez…

—Oui! C’est ça que je veux!

—Ça ira seulement à mercredi prochain cependant. Avec la fête du Canada, c’est la seule journée qu’on fait des prises de sang la semaine prochaine.

—Ok, c’est correct.

Je prends la requête et mon rendez-vous pour le mercredi suivant.

Je sors du CLSC tellement en colère! Je comprends que le médecin se doit de poser des questions et s’assurer que l’enfant est en sécurité dans sa propre famille, mais je n’avais certainement pas l’air d’avoir peur de mon conjoint. J’étais une mère inquiète qui avait peur pour la santé de son fils qui de toute évidence, n’allait pas bien.

Je suis allée travailler en espérant pouvoir me changer les idées, après être allée porter Christophe chez la gardienne où était déjà sa sœur.

En soirée, je fais les cheveux d’une autre nièce qui est elle aussi infirmière. Je lui raconte les bleus et ma rencontre avec le médecin. Elle me parle de son neveu qui a eu une leucémie et que les premiers symptômes étaient des marques foncées sur sa peau. J’essaie de ne pas paniquer. Elle croit que ça peut être bien des choses que ce n’est qu’avec le résultat sanguin qu’il sera possible de savoir quelle est la cause.

Je n’ai pas bien dormi cette nuit-là. En plus, mon conjoint travaille beaucoup. On ne fait que se croiser et je ne veux pas en parler devant les enfants.

Je me rends au salon pour huit heures, après avoir donné des consignes à ma gardienne de surveiller Christophe et de faire des activités plutôt calmes.

J’ai beaucoup de difficulté à penser à autre chose. Je suis morte d’inquiétude.

La mère de Frédérique (personnage de mon livre) arrive au salon. Elle a rendez-vous avec sa fille. Enfin quelqu’un avec qui je peux discuter et avoir de vraies réponses. Marguerite a une leucémie et elle est en rémission. Ma cliente partie, j’ai un peu de temps pour  m’assoir avec Claire avant que la prochaine arrive. Elle me raconte les symptômes qu’a eue Marguerite. Rien à voir avec le neveu de ma nièce et Christophe. Je reprends un peu d’espoir. Frédérique est prête à passer au lavabo avec sa mère. Je me retrouve toute seule dans la salle d’attente. Ce moment sera toujours dans ma mémoire. Je me pose milles questions. Mon stress est au niveau le plus élevé que j’ai vécu de toute ma vie. Je suis à bout. Je ne pourrai jamais faire face à un cancer. Je prie le ciel de me venir en aide et de m’envoyer un signe. Une seconde plus tard, oui, oui, une seconde plus tard, Claire arrive dans la salle d’attente en me disant :

—Manon! Tu sais que tu peux te rendre à Ste- Justine et tu vas avoir les résultats une heure plus tard?

Et voilà ce dont j’avais besoin.

—Ah oui !?

—Ben oui. Tu as juste à te rendre là-bas pis tu vas le savoir tout de suite ce qu’il a Christophe!

—Ah! Merci Claire! J’appelle tout de suite Christian pour qu’il prépare le petit aussitôt que je finis ma journée.

Je rejoins mon mari pour lui dire de prendre sa douche et d’être prêt à partir à seize heures trente avec Christophe, que Claire m’a conseillée de se rendre à l’hôpital Ste-Justine et qu’on aurait l’heure juste au bout d’une heure.

—Ok, mais tu veux pas aller manger au restaurant avant?

On devait fêter notre anniversaire de mariage.

—Non, de toute façon je ne serai pas capable de manger.

—Ok! On va être prêts.

J’ai fini ma journée en essayant d’avoir l’air enjouée, mais au fond de moi, je voulais en finir au plus vite avec cette histoire de bleus plus noirs que bleus.

Christophe s’est endormi dans l’auto en s’en allant à l’hôpital. Christian le réveille en le détachant de son banc. Je le prends par la main et je me rends compte qu’elle est plus chaude que d’habitude. Je mets ma main sur son front et je suis certaine qu’il fait maintenant de la fièvre. Je capote, mais en même temps, je suis soulagée d’arriver à l’hôpital pour enfants. Je sais qu’ils vont prendre la relève.

J’explique à l’infirmière du triage pourquoi on est là. Normalement, ils n’acceptent pas les gens qui ne sont pas dans ce secteur. Nous aurions dû nous rendre dans l’hôpital le plus près de chez nous, mais c’est un cas d’hôpital pour enfants à mon avis. Et c’est mon fils. Elle comprend rapidement que c’est un cas d’hématologie. Elle nous dirige vers une salle fermée. Le temps d’attente n’est pas très long. Un médecin vient l’examiner. C’est là que j’ai envie de la bombarder de questions en commençant par :

—Est-ce possible que ce soit une leucémie?

Elle me regarde surprise et sur ses gardes et me dit :

—Comment ça se fait que vous soyez au courant de ça?

Je lui explique que mes nièces sont infirmière et que j’ai discuté avec elles…

—On va le savoir seulement avec la prise de sang.

—Ok.

Je n’ai rien d’autre à ajouter.  Je dois attendre. Je déprime. J’aurais souhaité qu’elle me dise que ce n’était pas un symptôme lié à cette maladie.

 Une fois la prise de sang faite, nous devons retourner dans la salle d’attente. L’heure suivante est très angoissante. Le temps d’attente est infernal. J’ai hâte de savoir ce qui nous attend. On n’ose pas trop parler. Christophe dort, et qu’est-ce qu’on peut faire en attendant de savoir si nos vies seront chamboulées ou pas?

Lorsque Christophe est appelé dans la salle quatre, ça fait plus d’une heure que nous patientons sur nos chaises droites et inconfortables. La même vient nous donner les résultats. Elle nous explique que Christophe n’a plus de plaquettes et c’est pour ça que les bleus apparaissent aussi foncés et aussi vite. Ses globules blancs sont bas, c’est pour ça qu’il fait de la fièvre. Je m’inquiète que ce soit une leucémie. Elle explique que Christophe va devoir avoir une ponction de moelle puisqu’ils ne voient pas de cellules anormales dans le sang. Il est possible que se soit un début de leucémie et que les jeunes cellules anormales soient détectables seulement dans la moelle osseuse. Christophe doit être hospitalisé pour recevoir une transfusion de plaquettes. Elle nous dit de rester dans la petite salle et que quelqu’un viendra nous chercher pour nous emmener à sa chambre.

Aussitôt qu’elle passe la porte, je me mets à pleurer. La tension est tellement intense que j’ai l’impression que je vais exploser. Mon conjoint me prend dans ses bras et essaie de me réconforter.

—On est à bonne place! Ils vont prendre soin de lui.

Ça ne change rien pour moi. Mon fils est malade et c’est peut-être une leucémie. Je ne peux pas vivre dans la peur de la perdre pendant cinq ans. Je ne veux pas vivre les traitements de chimio qui sont étalés sur deux ans. Je ne veux pas voir mon fils vomir, souffrir et pleurer. Je sais ce qui s’en vient. J’ai entendu toutes les histoires de mes clients à qui c’est arrivé ou à un de leur proche.

Du haut de ses cinq ans, Christophe me demande :

—Pourquoi tu pleures maman?

J’essaie de me ressaisir. Je le prends dans mes bras.

—Je suis juste fatiguée mon Ti-Loup.

On lui a expliqué qu’il fallait dormir à l’hôpital pour qu’il guérisse ses bobos. Il ne réagit pas. Nous resterons avec lui. Il est rassuré.

Mon conjoint me dit qu’il sort faire quelques téléphones. Il doit informer ses parents que nous dormons à l’hôpital. Les enfants sont avec leur gardienne à la maison. Il s’occupe de la gestion de gardiennage. Je ne veux parler à personne.

Il contacte aussi des amies retraitées qui ont travaillées avec les enfants et longtemps à Ste-Justine. Elles le rassurent un peu et lui conseillent que c’est important de ne pas pleurer devant Christophe. Lorsqu’il m’en parle, j’ai été choquée puisqu’elles n’ont pas eu d’enfants et que c’est impossible à faire étant donné la gravité possible de la maladie. Mais j’imagine que si j’avais vu mes parents pleurer devant moi, j’aurai compris, même à cinq ans, que c’était grave.

Un préposé arrive avec une civière et demande à Christophe d’y monter. Il trouve ça amusant. Je suis sous le choc. Il lui met un masque pour le protéger puisque son système immunitaire est faible et on sait bien que l’hôpital est rempli de virus et de microbes. Nous sortons des urgences pour se diriger vers un long corridor. Nous traversons l’accueil et prenons à nouveau un autre corridor. Mon conjoint suit le préposé qui pousse la civière où se trouve Christophe. Je ferme le convoi. Arrivés au bout du corridor, le préposé pousse une porte qui s’ouvre sur une nouvelle aile. En traversant la porte, je vois écris au dessus de l’entrée où passe le préposé, aile d’oncologie Charles Bruneau. Je m’arrête. Non, je ne veux pas aller là. Mon conjoint est à plusieurs mètres devant moi et se retourne.

—Qu’est-ce que tu fais? Viens-t-en!

Je lui fais un signe de la tête et je dis tout bas :

—Non, je veux pas aller là.

Je suis figée. J’ai le goût de pleurer, de crier. Non, non! Je ne veux pas ça!

Le préposé continue d’avancer. Mon conjoint insiste et s’avance vers moi.

—Viens.

Je ne vois plus la civière. Ils ont passé la grande porte automatique qui se referme tranquillement. Christian est à mi-chemin de Christophe et moi. --Viens Manon!

J’avance d’un pas et d’un autre. Christian rejoint le préposé. Je me décide à avancer. Je vais me battre pour mon fils et je ne le laisserai pas traverser tout seul cet autre corridor qui mène à la clinique d’oncologie-hématologie. Je rejoins le convoi. Nous traversons la salle d’attente de la clinique et le personnel nous salue avec le sourire. Ils sont habitués à recevoir des parents avec des têtes d’enterrement. Je leur réponds sans trop d’enthousiaste.

Le préposé est très dynamique. Il demande à Christophe de peser sur le bouton 2 de l’ascenseur. Il l’amuse et le fait rire. J’admire son insouciance. Christophe est bien accueilli dans sa nouvelle chambre où quelques infirmières viennent lui dire un petit bonjour. Elles l’installent avec la transfusion de plaquette et malgré l’aiguille installée dans sa veine, Christophe répond aux questions qu’on lui pose. Il est trop fier pour pleurer.

—As-tu un chien?

—Des frères, une sœur? C’est quoi leur noms?

Elles occupent ses pensées afin de le détourner des installations autour de lui.  Je suis reconnaissante qu’elles soient aussi divertissantes. Mon humeur est maintenant directement liée avec l’humeur de mon fils. Mon conjoint les informe que nous voulons dormir avec lui dans sa chambre. On nous explique qu’habituellement, c’est un des deux parents que l’hôpital permet de dormir dans la chambre de l’enfant. Deux autres lits dans la chambre empêchent le personnel de bien circuler autour du lit du patient. Ils feront tout de même une exception pour la première nuit d’hospitalisation de Christophe.

—Il va falloir qu’il s’habitue à dormir tout seul! C’est un grand garçon…

Cette phrase résonne dans ma tête. ‘’Il faudra qu’il s’habitue’’…

Les gens défilent dans la chambre de Christophe. Médecins, résidents, infirmières, préposés. C’est un tourbillon. Une fois nos deux lits de camp installés et le personnel sorti de la chambre, Christophe s’est endormi rapidement. On s’est couchés, épuisés. J’ai dormi par période. Mon conjoint aussi.

Aussitôt le soleil levé, de nouveaux infirmiers et préposés se sont présentés. Ils sont très enjoués pour un dimanche matin. C’est comme si, faire la rencontre d’un nouveau patient était un événement en soi. Je suis un peu moins joyeuse de me réveiller dans un endroit où mon fils est hospitalisé et de réaliser que ce n’était pas un cauchemar. Mon conjoint joue le jeu. Il fait rire Christophe en discutant avec l’infirmier et c’est parfait. Je suis trop démolie pour sourire, mais le rire de mon fils me réchauffe le cœur. Je sors à la recherche d’un café. Chaque personne que je croise me souhaite bon matin avec beaucoup trop d’enthousiaste. J’ai l’air bête, mais je réponds avec expression. Ça me fait quand même du bien de savoir que ces gens sont attentionnés. Ils me mettent en confiance. La peur et l’inquiétude sont imprégnées sur mon front. Je me sens démunie. Je n’ai plus aucun contrôle sur la suite des choses. J’ai peur du cancer. J’ai peur de perdre mon fils, mon fils de cinq ans. On ne peut pas mourir à cinq ans! C’est impensable, mais l’hôpital est rempli d’enfants de cinq ans. Je suis impuissante. Mon fils est malade. Je perds pied…

De retour à la chambre de Christophe avec un café, le médecin d’oncologie arrive derrière moi. Il nous explique qu’ils vont lui faire une ponction de moelle osseuse pour vérifier s’il y a des cellules cancéreuse puisqu’il n’y a rien de concluant dans la prise de sang. Il nous explique la procédure si le diagnostique est une leucémie. J’essaie de garder le contrôle de mes émotions. Il est très gentil. Il voit bien le désarroi sur mon visage et il essaie de m’encourager en m’expliquant que maintenant, ils sauvent 80% des enfants atteints de leucémie. Mais je sais très bien qu’ils vivent avec des séquelles après, physique et psychologique. Il reste tout de même 20% qui ne survivent pas. Je suis de nature positive, mais le vent vient de tourner. Je ne veux pas dealer avec cette maladie qui revient parfois, sans crier gare. Je ne veux pas. Je ne peux pas…  

—La bonne nouvelle est que si ce n’est pas une leucémie, vous ne me verrez plus la face ici!

Okay, je ne veux plus vous voir la face.

Nous sommes dimanche, le 29 juillet. Christophe aura sa ponction de moelle mardi. Lundi c’est congé. C’est la fête du Canada. Il doit rester à l’hôpital tant que les médecins n’ont pas eu les résultats de sa maladie. Christian semble en contrôle et je ne comprends pas comment il à l’air si confiant, lui qui stresse habituellement pour une fièvre de poussée dentaire. Il me répète :

—On est à la bonne place. Ils vont prendre soin de lui.

C’est quand même l’endroit où tu ne veux pas être en tant qu’être humain, à moins d’y travailler.

Plus tard dans la journée, je joue au UNO avec Christophe. Christian avait besoin de bouger un peu donc en allant déjeuner à la cafétéria, il a rapporté quelques jeux pour passer le temps avec notre Ti-Loup, du chocolat et des bonbons. Une infirmière arrive avec un nouveau médicament à prendre par la bouche avec une seringue. Évidement, je lui demande ce qu’elle lui donne. Elle me dit, comme si elle parlait de la température, que c’est un médicament qui va préparer son corps à recevoir de la chimio s’il a une leucémie. WHAT!? J’ai un choc.

Tu donnes à mon fils, que j’ai pris soin pendant ma grossesse, de lui donner tous les éléments nécessaire à son bon développement, que j’ai allaité, que je me suis privée de bières et vin, de restaurant-minute, que j’ai cuisiné pour lui ses petits plats en purée pour éviter les agents de conservation, de sucre, de sel, etc., un médicament qui va abîmer tout ce que j’ai pu faire pour qu’il soit en bonne santé!? 

Trop tard, Christophe l’a avalé. J’ai mal au cœur. Je me lève d’un bond pour me réfugier dans la salle de bain. Donc ils sont convaincus que c’est une leucémie. J’essaie de ne pas faire de bruit, mais je pleure. Je pleure de douleur, de peur, de tristesse, d’impuissance et d’incompréhension. Pourquoi est-ce qu’ils commencent à le traiter comme si c’était une leucémie!? On n’a pas les résultats!  Ce n’est pas un cancer qu’il a! Mon Dieu, faites que ce ne soit pas un cancer. Je vous en prie! Les larmes coulent sur mes joues. J’ai mal. Je me sens liquéfiée. Ce n’est pas à la petite cuillère qu’on peut me ramasser. C’est avec un aspirateur. Je ne fonctionne plus. Je ne sais pas combien de temps j’ai pu rester là, à faire les cent pas, à essayer de me convaincre que ça va bien aller. D’ailleurs, cette phrase que tout le personnel hospitalier répète sans cesse;

—Faites-vous-en pas, ça va bien aller!

Va chier! Ce n’est pas ton enfant qui est malade! C’est le mien! On en reparlera quand ça sera ton tour!

—Inquiète-toi pas, ça va bien aller…fuck you!

Je me ressaisis. Je ne laisserai pas tomber mon fils. Je dois être forte pour lui. Je vais l’accompagner, peu importe la maladie. Je vais profiter de chaque minute avec lui, chaque seconde, comme si c’était la dernière. Parce que la dernière peut arriver n’importe quand. J’essuie mes joues et je me mouche en pensant qu’il ne verra rien. Les enfants sont tellement plus brillants qu’on pense. Je sors de la salle de bain. Christian joue une partie d’UNO avec lui. Je m’assois dans le lit à côté de lui. Mon conjoint sait très bien que je ne vais pas bien. J’ai les yeux rougis et toute la tristesse de la terre paraît dans mon visage.

Christophe me demande :

—Pourquoi tu pleures maman?

J’aimerais lui dire que j’ai peur de le perdre, que je ne m’en remettrais pas, que sa maladie est grave et qu’il faudra se battre, que se sera difficile, mais qu’on peut y arriver, parce que je l’aime…mais je peux seulement dire :

-J’ai mal dormi mon Ti-Loup. Maman est fatiguée.

Il n’est pas convaincu. Je ne me rappelle pas s’il m’a demandé s’il allait mourir, mais c’est le genre de questions qu’il aurait pu me demander. J’ai plusieurs trous noirs de ces jours où j’ai passé des heures à jouer au UNO avec lui pour l’occuper et à écouter des films et des émissions pour enfants. Il devait rester calme dû au manque de plaquettes, malgré les transfusions. Nos familles nous ont visitées. Mon frère et ma belle-sœur, mes parents, ma belle famille. Ils ont pris de nos nouvelles. Je préférais que Christian fasse les téléphones. Je voulais ne parler à personne, mais lui, ça lui faisait du bien d’échanger avec eux.

Le mardi matin, Christophe a passé plusieurs examens. Prise de sang quotidienne pour vérifier ses plaquettes, les globules blancs et rouges. Radiographie des poumons et autres dont la ponction de moelle les résultats peuvent prendre quelques jours. Ils doivent vérifier si la moelle reproduit elle-même les bonnes et les mauvaises cellules.

Un matin, c’est une toute jeune infirmière qui vient se présenter à Christophe. Elle sera son infirmière pour la journée. Je discute un peu avec elle. Elle a choisi de travailler en onco pour l’été en attendant de finir sa technique. Elle pense appliquer sur cette aile en finissant ses études. Je suis décontenancée.

—Pourquoi en onco? Ya plein d’autres places que tu peux travailler!

—Ils ne meurent pas tous, vous savez! Et vous devriez voir leurs sourires lorsqu’on leurs annoncent que c’est leur dernier traitement de chimio! Ça vaut tout l’or du monde…

—Je ne comprends quand même pas…

—Les adultes malades ont à négocier avec les factures, l’hypothèque et leur job. Ils sont inquiets et souvent en colère d’être malade. Les enfants eux, vivent le moment présent. On leur fait une piqûre, mais l’instant d’après on les fait rire et c’est fini. J’adore travailler avec eux.

Cette jeune personne vient de me donner une leçon. Vivre l’instant présent.

Chaque jour qui passait, je demandais des nouvelles du résultat. C’est trois jours plus tard que débarquent un médecin, un résident, un pharmacien et une infirmière. La femme médecin nous demande de nous asseoir sur le petit lit de camp. Elle s’assoit devant nous. Christian me tient la main.

—On a une bonne et une mauvaise nouvelle à vous apprendre.

J’écoute, avec la peur au ventre.

—La bonne, c’est que Christophe n’a pas une leucémie.

Oh my God! Merci mon Dieu!

—La mauvaise, c’est que c’est une maladie mortelle aussi grave…ça s’appelle l’anémie aplasique sévère.

Ça y’est. Je suis aspirée par une spirale. Tous tournent autour de moi. Je tombe dans un trou noir. Je pleure. Je suis incapable de me retenir. Comment une autre maladie peut être aussi grave que le cancer? Elle continue à parler et expliquer que la maladie de Christophe est rare, qu’il n’y a que quatre ou cinq cas par année au Canada. C’est la moelle osseuse qui a arrêté de fonctionner. Elle ne produit plus de plaquettes ni de globules blancs et rouges. L’usine est fermée. La panique me prend tout à coup. Je lui coupe la parole.

-Est-ce que mes deux autres enfants peuvent avoir cette maladie-là!?

-Non, ce n’est pas une maladie génétique. On n’est pas certain de ce qui provoque l’arrêt du fonctionnement de la moelle osseuse. Mais non, il n’y a aucun danger pour vos deux autres enfants…

Je n’écoute plus la suite. Je suis soulagée que Julien et Annabelle ne puissent pas être atteints de cette maladie, mais je suis atterrée de savoir que mon fils a une maladie mortelle. Je sanglote et je n’y peux rien. Mon conjoint me serre par les épaules. Il pose quelques questions au médecin et elle finit par se lever en nous demandant si elle peut expliquer à Christophe quelle est sa maladie.

Je lui réponds que oui. On se lève. Mon mari me prend dans ses bras et me dit :

—Ça va bien aller…

Je lui jette un regard noir.

—On est à la bonne place Manon.

Je me défais de son étreinte et je m’approche de mon fils. Je m’excuse au médecin qui lui parle. Je veux prendre mon fils dans mes bras. Je monte dans le lit et je lui dit :

—On va se battre Christophe pis tu vas guérir.

Je le serre fort et j’essaie de retenir mes larmes, mais elles coulent toutes seules.

L’équipe nous informe qu’ils sont à notre disposition pour toutes autres questions et sortent de la chambre.

Je me souviens que Christophe m’a dit :

—J’ai hâte de mourir.

Je ne me souviens plus à quel moment de la journée c’était, mais je lui ai répondu calmement, mais d’une façon ferme et rassurante :

—Y’est pas question que tu meures Christophe! Tu m’entends! Les médecins vont te soigner pis tu vas guérir! Tu vas mourir quand tu vas être vieux pis pas avant, tu comprends! Je ne veux pas que tu meures avant moi…

Je sais qu’il me testait. En fait, je crois… Je ne suis pas tombée dans son piège. Je voulais effacer le moindre doute dans sa tête. Il voulait savoir si je tenais à lui. Ce n’est pas vrai que je vais te regarder mourir mon Ti-Loup.

Christophe a donc passé une semaine à l’hôpital. Lorsqu’il a reçu son congé, j’étais nerveuse de gérer cette maladie qui demande à un enfant de rester calme. Pas de vélo, pas de patin à roulettes, pas de course, rien qui pourrait le faire tomber. Ça provoquerait une hémorragie interne malgré les transfusions de plaquettes. Pas de visite dans les places publiques. Son système immunitaire était trop faible. Un simple rhume pouvait le tuer. Pas de visite de gens malade non plus. Le retour à la maison fut tout de même joyeux. Nous étions attendus. Ma belle-sœur nous avait cuisiné un bon repas et nos deux familles passaient tour à tour venir voir Christophe. J’étais heureuse de retrouver mon grand et ma petite peanut. On s’était croisés pendant la semaine puisque je venais dormir à la maison et mon conjoint allait dormi avec Christophe, mais je ne restais jamais longtemps. Ma sœur les avait emmenés à l’hôpital pour une prise de sang afin de voir s’ils étaient compatibles pour une greffe de moelle. C’était la façon la plus sûre pour guérir Christophe de sa maladie.

Je me rappelle le premier matin où j’ai dormi à la maison. Je me suis réveillée à cinq heures en pensant que j’avais fait un cauchemar et quand j’ai réalisé que c’était réel, les larmes se sont mises à couler. Rien à faire, j’ai laissé aller le flot d’émotions en espérant que mes enfants ne me voient pas dans cet état. Mon grand, une fois levé, m’a dit :

—Je veux voir Christophe avant qui soit trop tard…

—Qu’est-ce que tu veux dire?

—Je veux le voir une dernière fois…

—Oh, Julien, ton frère ne va pas mourir aujourd’hui! Il a une maladie grave, mais tu vas pouvoir le voir autant que tu veux! Tu viens à l’hôpital demain avec Annabelle. Okay?

—OK.

Je me dois d’être rassurante et convaincante. Mais je dis la vérité. À neuf ans, je sais qu’il comprend ce qu’il se passe. Étrangement, je sais très bien comment il peut se sentir. J’avais neuf ans moi aussi quand mon frère a eu un accident sur la ferme de mes parents. Il est devenu quadriplégique et a passé un an et demi à l’hôpital. Je connais les craintes de mon fils pour son frère. 

Les premières journées à la maison font beaucoup de bien à toute la famille. On retrouve un semblant de routine. Le mercredi suivant, je reçois un téléphone du médecin du CLSC. Il veut savoir pourquoi Christophe ne s’est pas présenté à son rendez-vous. Un peu surprise par son appel, je lui dis que quelqu’un était censé annuler son rendez-vous. Il me dit :

—Oui, oui! Il a bien été annulé, mais je veux savoir pourquoi vous n’êtes pas venus.

—Et bien parce qu’on s’est rendus à l’hôpital Ste-Justine samedi et que mon fils a finalement l’anémie aplasique sévère…

—Oh! Vous avez bien fait dans ce cas de l’emmener à Ste-Justine…je vous souhaite bonne chance et bonne journée, madame Couture.

—Merci. Bye.

Je suis ébranlée par le ton de sa voix. Il connaît la maladie. Je sens comme une petite victoire. J’ai suivi mon instinct. Je savais que ce n’était pas banal les bleus sur Christophe. J’espère seulement que ce médecin sera moins méfiant la prochaine fois. Mais en même temps, il est soucieux des enfants maltraités.  

Les semaines qui ont suivies étaient toutes semblables. Deux à trois fois par semaine, Christophe devait recevoir des plaquettes. C’est devenu une routine. On se rendait tôt à l’hôpital pour qu’il ait sa prise de sang, attendre le résultat, avoir une transfusion ou pas. Parfois nous revenions assez tôt en PM pour profiter de la piscine. Les fois où c’était plus long, on se retrouvait dans le trafic pour traverser les ponts.

On a eu les résultats pour savoir si on était compatibles pour la greffe de moelle quatre ou cinq semaines après la sortie de Christophe de l’hôpital. C’est Annabelle qui s’est trouvée à être le meilleur donneur. Six sur six de compatibilité. Rien à voir avec le groupe sanguin. C’est un calcul complexe que je ne peux vous expliquer.

On nous a demandés, mon conjoint et moi, de rencontrer une psychologue. Une infirmière l’accompagnait. Elles nous expliquent quelques points du fonctionnement des lois qui protègent notre fille. Un médecin d’une consultation externe évaluera sa santé et des avocats parleront pour elle au cas où nous voudrions quand même mettre sa vie en danger. Jusque là, ça va. Ensuite, la psychologue nous demande si ça va bien dans notre couple. On ne comprenait pas pourquoi cette question et on répond que oui, notre couple va bien. Elle nous explique que 50% des couples qui vivent avec un enfant malade se séparent. On s’est promis que ça n’arriverait pas, mais nous ne sommes pas à l’abri, j’en suis bien consciente.

Maintenant, j’ai peur pour elle. Du haut de ses dix-neuf mois, elle peut sauver la vie de son frère. Mais le temps que ça prend pour retirer la moelle au niveau des os de son bassin, prend deux heures. Deux heures d’anesthésie générale pour un enfant de cet âge me donnent la frousse. Un peu trop de ce produit qui endort et c’est fini pour ma fille. Je veux sauver la vie de Christophe, mais pas au détriment de la vie d’un autre de mes enfants. On me rassure. Tous les jours, dans cet hôpital, on endort des enfants…oui, mais si ça tournait mal pour le mien? C’est difficile de lâcher prise, surtout que je suis hyper stressée à longueur de journée. Par chance, Christophe est un enfant calme, qui aime regarder la télé et faire des jeux bien assis dans le sofa. Mon grand est beaucoup plus actif. Ça aurait été difficile de le tenir tranquille celui-là.

La greffe de moelle a été reportée deux fois. La première fois, ma fille couvrait un virus. Pas question de donner de sa moelle à Christophe. Ça pourrait le tuer. La deuxième fois, après avoir vu l’ORL, il s’est avéré que Christophe avait une sorte de champignons dans son nez qui pouvait aussi le tuer, une fois la chimio reçue. Lorsqu’on est en santé, ces champignons ne sont pas dangereux, mais dans son cas, il faut prendre les grands moyens. On a dû déménager quelque part où il n’y a pas de ferme d’animaux à plusieurs kilomètres à la ronde. Ces champignons poussent sur les excréments d’animaux, comme des vaches. Dans le parc, juste au côté de la maison, nous élevons des animaux à bœuf. C’est ce que j’ai fait. J’ai déménagé avec Christophe et Annabelle dans le chalet d’un ami. Quatre semaines à nettoyer son nez avec une solution saline, trois fois par jour pour arriver à se débarrasser de tous ces champignons. Mon conjoint et mon grand sont restés à la maison. Les récoltes et l’école continuent d’exister même si pour moi, tout est suspendu dans le temps.

Finalement, le jour J arrive. Christophe entre à l’hôpital le 22 octobre. Quatre jours de chimio et vingt minutes de radio. La greffe est prévue le 29 octobre. Ma fille doit entrer à l’hôpital la veille pour sa préparation. C’est le jour de son anniversaire. Elle a deux ans cette journée-là. Une secrétaire de l’aile de l’hémato s’est chargée de lui acheter une poupée qu’elle a pris le temps d’emballer. Mon conjoint et moi sommes touchés par cette pensée. Elle est la vedette du jour. Tout le monde lui souhaite bonne fête sur l’étage. Nous l’avons amenée voir Christophe à l’étage juste au-dessus de celle où était sa chambre. Lorsqu’elle l’a vu par la porte vitrée, elle pointait du doigt son frère et disait :

—Titophe! Titophe!

C’était la première fois qu’elle prononçait un semblant de son prénom. Elle venait de donner un nouveau surnom à Christophe qui correspondait très bien à ce qu’il traversait.

Ce soir-là, j’ai dormi dans la chambre de ma fille. Christophe étant dans une chambre aseptisée, il s’est habitué à dormir tout seul, mais mon conjoint passe ses nuits au manoir Ronald Mac Donald. Avec les risques qui existent avec la chimio et tout ce qui entoure la greffe, je voulais qu’on puisse être près de lui en peu de temps s’ils nous demandaient. Très tôt le matin du 29, un infirmier vient me réveiller. Évidemment, je sursaute lorsqu’il met la main sur moi et me dit :

—Madame Couture?

—Oui!

—Non, non, inquiétez-vous pas. Christophe va bien. Il veut vous voir. Je pense qu’il s’ennuie.

—Ah! Okay, j’arrive.

Annabelle dort encore, mais je prends la peine d’informer son infirmière que je serai juste à l’étage au-dessus. Arrivée à l’entre chambre de Christophe, je dois prendre le temps de laver mes mains pendant deux minutes, mettre une jaquette jaune d’hôpital et un masque afin de ne pas transmettre de microbes dans la chambre de mon fils. J’entre dans la chambre et je vois qu’il est triste. Je m’installe dans son lit, collée sur lui.    

—Qu’est-ce qui à mon Ti-Loup?

—…

Je pose quelques questions qui restent sans réponse. Je finis par comprendre.

—Tu t’ennuies de Julien?

—Oui.

—Qu’est-ce que tu dirais si papa l’apportait ce soir après l’école?

Son sourire réapparaît.

—Oui!

Ça me réconforte de voir que mon idée le rend heureux.

—Tu l’aimes ton grand frère?

—Oui! Il me fait rire!

—OK, mais tu sais qu’il ne peut pas entrer dans ta chambre, mais tu pourras le voir par la fenêtre de la porte.

—Oui!

Et il commence à me raconter tout ce que Julien fait qui le fait rire. Nous avons passé un beau moment jusqu’à ce que papa arrive pour me remplacer. Je remonte voir ma fille qui est si petite dans cette bassinette de métal. Ma sœur arrive pour prendre la relève. Aujourd’hui, c’est une grande journée. Elle sera avec Christophe le temps qu’Annabelle est en salle d’opération. Mon conjoint et moi, nous l’accompagnerons dans une autre aile de l’hôpital. Je me rappelle très bien de voir partir mon petit bébé dans cette grande civière vers la salle d’opération. Deux longues heures à attendre que le médecin retire ce liquide précieux qui sauvera la vie de mon fils. Il m’est impossible de rester assise longtemps dans la salle d’attente. Je fais les cents pas dans les corridors sans trop m’éloigner. Au bout des deux heures, je commence à m’impatienter. J’ai hâte d’avoir de ses nouvelles. L’infirmière en chef arrive avec une glacière et nous dit :

—Voilà une tasse de moelle à Annabelle.

Une poche de gélatine rouge clair gît sur un fond de glace. Sur la poche, on peut voir toutes les informations du donneur et du receveur.

—Est-ce que ma fille est réveillée?  

—Pas encore, mais ça ne devrait pas prendre trop de temps. Je dois aller porter ça tout de suite dans la chambre de Christophe pour qu’il reçoive la moelle de sa sœur,

—Parfait! Je vais attendre qu’Annabelle se réveille et j’arrive.

—Okay!

Mon conjoint se rend à la chambre de Christophe et je continue à faire les cents pas dans le corridor de plus en plus inquiète. Je croise le médecin en ORL et elle me reconnaît.

—Ça ne va pas?

—J’attends de savoir si ma fille s’est réveillée pour aller voir Christophe recevoir sa moelle, mais ça fait au moins vingt minutes qu’elle devrait l’être!

—Attendez. Je vais m’informer.

Elle revient et me dit :

—On va faire une exception pour vous. Elle est en salle de réveil. Elle va bien. Je vais aller avec vous pour que vous soyez rassurée.

J’arrive près de son petit lit. Une infirmière est auprès d’elle. Elle m’explique qu’elle reste à ses côtés jusqu’à tant qu’elle se réveille complètement. Je lui parle. Elle entrouvre ses yeux. Elle est tout endormie. L’infirmière me rassure et me dit que si c’est nécessaire, elle me contactera. Je suis soulagée. J’accours donc vers la chambre de Christophe. J’arrive juste à temps. Monsieur Couture, l’infirmier (ben oui, c’est spécial hein?) était en train d’installer le tube de la poche de moelle d’Annabelle au bras de Christophe dans son cathéter. Le médecin nous avait expliqué le la moelle est transmise comme une transfusion de sang et que les cellules ont l’instinct de s’installer dans les alvéoles de l’os. Au bout de quatre à cinq jours, les premières plaquettes commencent à apparaître et les globules blancs et rouges arriveront ensuite. Pour expliquer à Christophe le fonctionnement des globules, il avait dit que c’était comme des petits soldats qui combattaient les virus et les microbes. Avec la greffe de moelle de sa sœur, j’avais nommé ses nouveaux soldats des Annatophe. Plus facile de négocier la nourriture avec un nom pour les petits soldats.

—Mange un peu mon Titof si tu veux que tes Annatophes deviennent forts comme Hulk!

Dans sa chambre, tout était à l’effigie de ce super héros. Ses draps, une doudou, des pyjamas et même un gros toutou la décoraient. Je voulais qu’il ait l’image d’un être fort et invincible. 

Les Annatophe ont finalement bien travaillé. Nous sommes sortis de l’hôpital le 29 novembre. J’étais tellement contente de retrouver ma maison et ma famille réunie. Le bonheur d’être tous ensemble le premier soir, assis devant la télé à écouter quelque chose de banal est indescriptible. Dans la vie, souvent on rêve de grandes choses en pensant que nous serons plus heureux, mais ce soir-là, rien n’aurait pu m’émouvoir plus que de voir ma famille enfin rassemblée dans notre merveilleux salon.

Bien sûr, il y a eu plusieurs autres rendez-vous à l’hôpital, une panoplie de médicaments à gérer, le professeur qui venait à la maison, les virus à éviter, la bouffe à cuisiner très méticuleusement, mais on s’est adaptés. La vie a repris son cours tout doucement. Christophe a pu retourner à l’école en mai, à son rythme, aller au cinéma, manger au Mc Do, jouer avec ses amis.       

Au bout d’un an, la greffe s’est avérée un succès. Aucun signe de rejet, aucun effet secondaire apparent pour l’instant. Sa courbe de croissance et son poids étaient normaux. Au bout d’un an, mon fils était guéri. Je n’oublierai jamais le sourire du médecin lorsqu’il nous a annoncé la nouvelle. Je sais que ce ne sont pas tous les enfants greffés qui ont cette chance. Certains meurent ou restent avec des handicaps

Maintenant, ma référence de bonheur est directement liée à la maladie de mon fils. Mon stress aussi. Tout se relativise avec cette peur que j’ai eue de le perdre. J’ai encore beaucoup de bonheur à me retrouver autour de la table avec ma famille, les dimanches soirs pour souper tous ensembles avec ces jeunes adultes. Des blondes et un chum se sont ajoutés. Il y a parfois des changements, mais j’adore que les places autour de ma table soient occupées. Et lorsque c’est le cas, mon conjoint me regarde du bout de la table et me dit :

—Tu es contente là hein !? Tout le monde est là!

Et mes yeux pétillent de joie.

Mon Titophe est maintenant rendu à 22 ans. Il est un jeune adulte normal à s’obstiner avec sa sœur, sortir avec ses amis et boire de la bière. On est toujours un peu plus inquiets pour lui s’il attrape un rhume ou autre. C’est un vieux réflexe. Mais on s’est raisonnés. Je ne voulais pas l’étouffer avec mes craintes. Après tout, tout ce qu’on souhaite, c’est qu’il soit heureux.

 Par Manon Lambert

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